« Ne nous parlez pas de pillage, vous êtes les pilleurs ! » criait Tamika Mallory dans les rues de Minneapolis hier.
La nation américaine s’est construite sur le pillage, l’exploitation et la conquête ; son histoire est celle de l’esclavage, de la ruée vers l’Ouest qui décima les Amérindiens et les troupeaux de bison, de l’exploitation incontrôlée des ressources qui aujourd’hui mène notre planète au chaos. Le dire, le reconnaître enfin, est la condition sans laquelle il n’y aura ni justice ni apaisement dans le pays.
Ne leur parlez pas non plus de violence, la violence à l’œuvre dans les rues des grandes villes américaines n’est que le retour de flamme prévisible d’une violence systémique, structurelle, permanente qui s’abat quotidiennement sur leurs corps, leurs familles, qui fait qu’ils sont étrangers et suspectés jusque dans leurs quartiers où la menace des violences policières plane continuellement.
« I can’t breathe ».
Les quartiers tout entiers étouffent, depuis longtemps. Étouffés par la pollution du périphérique, étouffés par les barres et les tours qui obstruent le ciel, intoxiqués par les usines qui s’installent dans leur voisinage, souffle court de journées passées au labeur à récurer les dorures des palais des nantis de ce monde… Est-ce tant demander, pouvoir simplement respirer et exister?
Quand le racisme existe, lorsqu’il produit des effets puissants et prend la vie d’hommes, de femmes et d’enfants lorsqu’il est structurellement présent jusqu’au plus haut sommet de l’État comme c’est le cas aux États-Unis, nous ne pouvons nous contenter d’une neutralité faussement universaliste. Nous devons être antiracistes et nous devons mener ce combat de manière active. Il ne suffit pas d’invoquer l’égalité lorsque certains de nos concitoyen.ne.s sont dans la survie. Il ne suffit pas d’invoquer la fraternité lorsque, l’État s’étant retiré, cette survie dépend des solidarités concrètes et extra-institutionnelles, des coups de main du voisinage et du soutien des familles. Il ne suffit pas d’invoquer la liberté lorsque des quartiers et des communautés étouffent.
Nous en France avons nos George Floyd. La liste est longue des vies écrasées par la brutalité policière et bafouées par le silence de la justice qui s’en est suivi.
Adama Traoré en est l’un des symboles puissants de ces vies étouffées.
Nous en France avons notre passé esclavagiste et colonialiste. Ce passé n’est pas « derrière nous », il dure jusqu’au cœur du présent et structure qui nous sommes aujourd’hui en tant que nation française. Ce passé, jusqu’aujourd’hui, produit des effets, des affects, des peurs, des violences.
En France néanmoins nous n’avons pas les chiffres. Une pudique tradition statistique masque les inégalités abyssales entre les Noirs et les Blancs, en termes d’éducation, d’accès à l’emploi, de logement, de santé, d’espérance de vie, de vulnérabilité face aux excès du pouvoir… Nous ne reconnaissons ni les discriminations, ni nos privilèges.
La parole politique jusque-là nie et protège les forces de l’ordre. Il n’y aurait pas de violences policières, et encore moins de discriminations raciales au sein de la police. Mais qui sont nos dirigeants pour dire aux jeunes filles et aux jeunes hommes vivant dans les quartiers populaires qu’ils ne peuvent pas même ÉNONCER leur peur des policiers ? Qui sont nos dirigeants pour les nier ainsi jusque-dans la formulation de la vérité qu’ils et elles vivent tous les jours ?
Donc. Soyons là ce soir, 19h, en souvenir et en hommage de George Floyd, d’Adama Traoré et de ces milliers d’hommes et de femmes qui ont été assassinés. Écoutons et amplifions autant que nous pouvons la voix de celles et ceux qui aujourd’hui porte le combat réel et concret de l’égalité et de la justice.
#GeorgeFloydProtests
#BlackLivesMatter
Claire Lejeune, Climat Social