Et si le problème de la jeunesse n’était pas le manque d’engagement ? Que nos problèmes ne venaient pas que des jeunes ?
Et si les valeurs de la République ne pouvaient s’imposer par la force, fusse-t-elle des mots, et que l’on pouvait leur redonner du sens et de l’influence tous ensemble ?
Le projet de loi actuel sur le service national universel témoigne d’un terrible décalage entre ce gouvernement et la population. Quand Edouard Philippe promet la « fraternité » entre les jeunes, ceux-ci entendent formatage, plutôt que maturation collective. Au lieu de viser avec sincérité la rencontre sociale et ce “sentiment d’appartenance” le gouvernement cherche surtout à inculquer à la jeunesse « des compétences sociales que les entreprises recherchent » pour reprendre les mots de Yannick Blanc, l’actuel président de l’Agence du service civique.
Cadrer, façonner au lieu d’ouvrir des horizons, de sensibiliser, d’agir ensemble; voilà le projet du service civique universel du gouvernement.
C’est se tromper de constat sur la France et proposer les mauvais remèdes.
Car oui, le moral français n’est pas au beau fixe, et nous aurions tous besoin d’un nouveau dieu, d’une vision commune d’un demain meilleur. Mais le problème de notre pays, ce n’est pas une jeunesse amorphe, c’est une déconnexion généralisée. Les gilets jaunes en sont d’ailleurs le reflet : rarement l’élite qui nous gouverne n’a été si éloignée des problématiques du peuple qu’elle est sensée représenter, rarement l’horizon n’a semblé si morose ou si vide. Nos jeunes, eux, supposés peu engagés, sont pourtant bien nombreux sur les ronds-points de France à espérer de nouvelles perspectives.
L’urgence écologique, pourtant évidente, n’est énoncée que dans les mots creux d’un président dont les actes empirent la situation environnementale. Le peu d’intérêt affiché pour la COP24 atteste avec éloquence des priorités gouvernementales d’aujourd’hui.
L’urgence sociale, avec toujours plus de gens dans la rue, provoque encore des réactions sidérantes de privilégiés qui professent que cette rue, et donc cette misère, serait affaire de choix.
Par confort peut-être, par déni c’est sûr, chacun imagine le monde comme le prolongement de son propre petit monde. Comment comprendre l’inaction sinon, et pire, l’aggravation active des inégalités ? Pour reprendre les mots de Günther Anders*, “la faute (des hommes) résiderait aujourd’hui dans […] le manque d’imagination” : impossible pour nous de concevoir la catastrophe qui se produit sous nos yeux. Mon voisin n’appréhende pas le réchauffement climatique parce qu’il ne vit pas (encore) en zone à risque. Le patron ne comprend pas la revendication de son employé parce qu’il ne fait pas face aux mêmes difficultés quotidiennes. Le député ne saisit pas la violence d’une réduction de 5 euros sur les APL parce que son fils étudiant n’est pas à 50 euros près.
Alors, au lieu d’envoyer ou de blâmer les autres, au lieu de détourner le regard, chiche, on s’y met tous ensemble ? Inventons un véritable service civique qui tisserait du lien social tout en participant aux grands objectifs et défis communs. Et nommons le clairement : le service national écologique et solidaire (SNES).
Une semaine par an, toutes les personnes considérées comme aptes, se mettront au service d’un projet écologique et/ou social. Des travaux simples, impliquant et peu coûteux : participer à des maraudes pour venir en aide aux sans abris, nettoyer des espaces naturels, planter des arbres, restaurer des bâtiments, etc.
Et faisons de l’organisation même de ces journées un vecteur de lien et de dialogue. Dans les quartiers, les communes, créons des espaces de rencontre pour échanger sur les problématiques de chaque territoire. Dans les deux sens, du citoyen au politique, du politique au citoyen, ces espaces serviront à identifier ensemble les urgences locales mais aussi à se (re)connecter à l’autre, à son voisin.
Une prise de conscience commune et une action solidaire. Un pays entier se mettant en branle pour un monde meilleur.
Le Rwanda a mis en place un dispositif comparable en 1998. Une journée par mois, l’« Umuganda », « le pilier de la maison », qui est maintenant inscrite dans leur constitution pour « renforcer l’unité national et reconstruire le pays ensemble ».
Pourquoi pas nous ?
Marx disait que “les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde de diverses manières, ce qui importe, c’est de le transformer”.
Pépita Car et Matthieu Ponchel, Climat Social